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(A LIRE) Etudiant à l'Ecole et déjà détenteur d'un record, les impressions de Mathis...

Portraits

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19/09/2018

Si vous étes féru de voile vous connaissez surement Yvan Bourgnon !

Vous connaissez sans doute Atout Vent, association d'étudiants, que notre association a aidé financièrement notamment pour la course de l'EDHEC (voir ici) pour laquelle Mathis Bourgnon avait engagé un bateau.

Mathis Bourgnon, futur Ingénieur ESME Sudria promo 2021, fils d'Yvan, a cet été, avec son père, battu le record de la traversée de la méditerrannée (pour en savoir plus sur cette traversée). avant même d'avoir réalisé qu'il avait battu un record il nous livre ici ses impressions. Vous noterez que toutes les séquences du travail de l'Ingénieur sont là, avant la préparation, pendant, le courage, la réflexion, la concentration et après l'analyse et la conclusion.

"Mon premier record…

Être le plus rapide, être sur l’eau... deux notions très familières que je m’apprête à mettre en pratique sur un record à la voile pour la première fois. Un rêve de marin qui s’éveille.
 Une première expérience qui signifie beaucoup pour moi et pour laquelle je suis conscient qu’il y aura une différence entre ce à quoi mon esprit s’est préparé par les récits de mon père, et les vagues d’émotions qui m’envahiront.
 Je n’avais pas imaginé à quel point cette traversée de la Méditerranée me ferait découvrir ces territoires encore inconnus pour moi. J’en tire trois enseignements…

Pour commencer, la préparation !
 La préparation d’un record, ce n’est pas la préparation d’une sortie en mer ou d’une régate. Certainement la partie la moins spectaculaire mais de loin la partie la plus importante ! J’ai beaucoup appris sur l’aspect technique, le matériel à prendre et surtout j’ai pris conscience que tous les grands navigateurs gagnent grâce à leur préparation. L’expérience de mon père nous a offert un bateau fiable et rapide, un vrai travail de professionnel. On se dit qu’après ces nombreuses heures à optimiser notre bateau, seule la météo décidera de notre sort. Et la suite nous donnera raison.

La vieille du départ nous sommes à plus de 1 000 km de Marseille, je bloque mes yeux sur les fichiers météo et mon père les mains dans les bagages. À H-14 du franchissement de la ligne de départ, nous quittons le Morbihan et prenons la route de nuit pour Marseille et sa baie majestueuse, où tant de marins ont largué les amarres et poursuivi leur soif d’aventures. Nous savons que cette traversée de la France de nuit et en voiture, va beaucoup nous fatiguer sur un record qui normalement se fait à 100 % des capacités physiques. Encore une histoire de préparation…

Puis c’est ensuite la navigation pure. Et c’est la partie où le plus était à découvrir et à apprendre !
 Le départ se fait donc un peu dans la précipitation, la fenêtre n’est pas idéale mais c’est possible. Alors on fonce ! On connaît de tête la route à prendre et le déroulement de la météo, or dès le début tout ne se passe pas comme prévu.
 Le manque de vent du départ dure six heures au lieu des trois annoncées, ce qui nous met en situation délicate dès le début.
 Pourtant je n’apprends rien les premières heures, tout ceci se compare à une longue régate ou à un raid comme il y en a souvent. Je dois en profiter pour prendre les minutes de sommeil perdues sur la route. Je ne suis en rien rassuré car je sais que le vent n’est pas assez fort et que le plus dur reste à venir. C’est à partir de 07h00 après le départ que l’inconnu refait surface. Le vent monte, la nuit tombe et la lumière du GPS ne s’allume pas, c’est là que j’ai senti mon corps et ma tête se mettre en mode « navigateur ». Naviguer de nuit je l’ai déjà fait mais jamais à la recherche de 100 % de la vitesse maximale. Les sens ne sont plus tout à fait les mêmes. On se met donc en mode : cap sur l’étoile qui brille devant, en mode : sentir la vitesse du bateau. Sentir cette vitesse à l’aveugle, quel bonheur ! Sentir le vent sur le visage, les embruns salés qui piquent les yeux et vous fouettent le corps sans prévenir. Sentir les surfs du bateau dans les creux en déséquilibre. Sentir sa barre siffler dans les vagues invisibles de la nuit noire. La partie moins drôle vient quand le mode fatigue s’ajoute.
 Sentir ses paupières se fermer malgré toute la bonne volonté. S’endormir à la barre une seconde toutes les trente secondes, et se réveiller en sursaut à cause du bateau qui ralenti ou accélère.
 Toutes ces sensations vous font comprendre ce que signifie repousser ses limites face au sommeil, à la fatigue, à la nécessaire conscience de cette situation constante du danger.
 Car la fatigue n’est pas musculaire, elle est cérébrale, c’est la concentration de ses sens qui creuse et qui fatigue. Cette fatigue qui pousse à dormir quelques secondes ou quelques minutes même secoué sous les écumes à 15 nœuds [30 Km] sur un petit catamaran. Tout cela je ne l’avais jamais fait, et je me rends compte de l’aspect très spécifique de ce genre de compétence à développer pour être le meilleur. Mon père m’a impressionné par sa capacité à garder un contrôle absolu, récupérer très rapidement, la navigation dans la peau, l’ajustement de la trajectoire... rien n’était laissé au hasard. Je me demande bien comment il a réussi à faire son tour du monde, puis son passage du Nord-Ouest sur un catamaran équivalent à celui-ci. Une embarcation comme on en trouve dans les clubs de plage. Sans cabine, sans espace pour s’abriter. La récupération et la résistance doivent être ses secrets.

Et enfin ce fut l’émotion de l’arrivée !
 Une arrivée plus que spéciale. On sait, dès la veille, que le record se jouera sur quelques minutes. Etant au réglage du spi les six dernières heures dans la pétole (vent très faible), la pression et le stress m’envahissent. Croyez-moi bien qu’il est nul besoin de ces deux ennemis pour surmonter la fatigue et être optimal sur les réglages.
 Je pensais avoir tout vécu avec la fatigue. Voilà que je m’endors plusieurs fois de suite les mains crispées sur l’écoute de spi, en quelques secondes assis à l’avant de la coque. A l’endroit même où en temps normal je tomberais à l’eau le spi en main... Mais je me réveille avec sursaut, le spi qui me tirant entre les mains et mon père qui me dit « Concentre-toi ! ». J’écoute mon père évoquant la vitesse moyenne à faire pour battre le record et à quel point le spi doit être bien réglé. L’arrivée sera le seul moment où je n’ai pas fait le malin, mais suite auquel la joie et la satisfaction du travail bien fait, vous redonnent toute l’énergie pour se dire « Et si on recommençait… ». Ce sont dans ces moments-là que le terrien prend le marin pour un fou.
 Désormais je sais qu’il faudrait faire des régates contre les Italiens Malingri qui détiennent le record, il y aura du suspense jusqu’au bout ! Des arrivées à quelques secondes d’écarts. On voit sur notre montre qu’on est arrivé dans la même minute que le record...
 La ligne passée j’avoue à mon père m’être endormi plus d’une fois à la barre et au spi. Il me rassure et me dit que c’est bien normal. Je me déshabille directement tellement la chaleur dans la combinaison sèche était insupportable ! Puis on se regarde l’un l’autre, sachant très bien que personne ne sait si c’est gagné, mais l’air de dire « tu penses qu’on l’a battu toi ? ». Plus rien ne se passe, on ne fait plus rien sur le bateau, le silence après 42 heures de bruits. Moment très étrange où toute la pression tombe et où l’esprit de compétition n’est ni rassasié, ni totalement absent, où tu imagines le pire pour ne pas tomber de haut mais où garder espoir est le seul cap. Puis vient le moment de ranger le bateau et de s’amarrer au port."
 On se dit alors « enfin dormir » mais l’administratif et la communication ne dorment jamais !
 Quelques heures après l’arrivée, l’incertitude sur le résultat est là et il faudra de la patience encore pour les résultats officiels. Les réflexions sur les quelques secondes qu’on aurait pu gagner vont désormais m’occuper de nombreuses nuits, pendant mes traversées imaginaires…

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